Un solo de guitare. Une absence. Braxton, au rythme de ses doigts sur le manche, s'échappait. Sur la scène, il n'y avait que son corps, son esprit s'étant évadé, chevauchant une ou deux notes. Il se revoyait, à New-York, éviter les gens trop pressés, les gens aveugles, les gens sourds. Tous ceux qui vivaient pour leur métier, pour leur carrière, qui ne voyaient pas que la vérité était ailleurs. Qui ne voyaient pas que la vérité était cachée, dans un son, dans un cri, dans la musique. Le brun, sans cesse agressé par les klaxons fous, n'avait pas sa place dans cette ville. Dans la salle, quelques filles criaient. Il avait déménagé en Louisiane, seul. Ses parents n'avaient pas eu le choix. Il s'enfuyait. Il suivait la musique. Ses yeux se fermèrent, il s'abandonnait, il vivait. Le succès de son groupe n'avait fait qu'augmenter, depuis qu'il était à la Nouvelle-Orléans. Braxton lui même s'était épanoui. Il avait trouvé sa place. C'était la ville du Jazz. Dans la rue, les oiseaux chantaient du Louis Armstrong. Un sourire se dessina sur son visage. Les oiseaux chantaient du Louis Armstrong. Ses yeux s'entrouvrirent sur une petite bande de blondes. Entre deux notes, il rit. Il avait déjà couché avec celle sur la droite et celle au milieu. Ses paupières le laissèrent à nouveau dans le noir. De souvenirs en souvenirs, il sentait les ongles de la première s'enfoncer dans son dos. Il avait toujours eu beaucoup de succès avec les filles, son statut de musicien ne faisant qu'aggraver la chose, et il en profitait, s'offrant les plus belles de ses groupies. Il aimait le sexe pour le sexe. Il aimait se sentir libre. Les fêtes, les soirées, les nuits, la drogue, les orgasmes, les cris, les griffures, les concerts, les solos. Les solos. Les cordes vibrant sous sa peau le firent frissonner. C'était le moment. Son regard se posa sur une blonde particulière, proche de la scène. Il frissonna de plus belle. Bella. Il l'avait rencontrée à la Las Vegas. Ville du jeu, ville des vices. Son groupe, pour s'étendre un maximum, avait migré jusque dans le Nevada. Les concerts dans les salles de jeu se multipliaient, le succès grandissait. Et cette brune, toujours. Il la voulait, plus que toutes les autres. Elle lui avait toujours dit non. Mais ce n'était pas ce « non » qui vous brise un homme en manque. C'était un « non » doux, un « non - oui j'en veux encore ». Elle le chauffait, elle l'allumait, puis le laissait brûler, seul. Elle le faisait tourner en rond. Il aimait ça. Elle aimait ça. Ils s'amusaient. Il la détestait quand elle s'éloignait. Il l'adorait quand elle se rapprochait. Elle le rendait fou. Il ne savait jamais sur quel pied danser, peu importe, il aimait tomber. Des blondes, il en avait usées, pensant à Bella. Et sur les planches, à l'apogée de son morceau, c'est à elle qu'il pensait. Quand sa guitare semblait se confondre à son corps, quand la musique l'envoyait là où il n'y avait plus rien, quand son souffle était coupé par le plaisir de l'achèvement de cette minute parfaite, il aimait ouvrir les yeux et la voir, juste là, à l'écouter, à le regarder. A vivre cette fuite avec lui. Parce qu'un jour, une nuit, dans une loge sombre d'un Casino, elle avait cédé. Elle avait laissé son corps s'entrechoquer à celui du guitariste. Elle avait oublié toutes les fois où elle avait dit non, elle avait abandonné. Et, entre deux ébats, dans une étreinte, Braxton l'avait faite sienne. Il ne la lâcherait plus. Elle serait à lui. Et s'il ne voulait pas se mettre en couple, s'il ne voulait pas être fidèle, cela ne changerait rien à son désir de la posséder. Parce qu'elle était la seule. La seule à lui faire ça. Il lança ensuite un regard aux autres musiciens qui vinrent l'accompagner pour la fin du morceau, plus calme. Son esprit remonta plus loin dans sa mémoire. Il avait vécu une enfance calme. Ses parents vivaient plutôt aisément. Fils unique, il avait été gâté, mais s'était vite rendu compte que ce n'était pas à cette vie qu'il aspirait. Tout avait changé le jour où il avait entendu Jimi Hendrix jouer. Son futur s'était dessiné dans sa tête, et plus rien n'avait été pareil. Il ne voulait plus de jouets, de consoles, il voulait une guitare. Il ne voulait plus aller à l'école, il voulait jouer; Il commença à sécher les cours à la fin du collège. Il draguait les gamines, il fumait en cachette. Au lycée il avait fondé son propre groupe de musique. Pas pour être connu, non, juste pour jouer, encore. Et puis, son bac tombé d'on ne sait où, il était parti. Au revoir Big Apple. Bonjour Nouvelle-Orléans. Dans la musique, il s'était étendu, avait connu le succès, et à nouveau, il était parti. Au revoir Louisiane. Bonjour Vegas. Le morceau était fini. Les garçons lancèrent quelques objets dans le public et quittèrent la scène. Braxton rejoint les coulisses, souriant. Il aimait les soirs qui se déroulaient de la sorte. La sortie de derrière, une clope -la meilleure derrière celle après l'amour-, une brune qui s'approche. Le guitariste lança un regard derrière elle. Il n'y avait personne. Elle était mignonne. Il tira une latte et lui sourit, chuchotant pour lui même « Tant pis Bella, ce soir, je t'attends pas. » Elle s'approcha, sûre d'elle, et lui prit la clope des mains. Il ne la connaissait pas. Marqué par cette arrogance, il rit légèrement. Il n'aimait pas les fans qui lui répétaient qu'il était le plus beau. Il n'aimait pas les hystériques. Il préférait les salopes. Il la fit entrer. Une nuit, et il ne la reverrait plus.